POURQUOI LA BIODYNAMIE (3/4)
- Ouvalevin
- 14 nov. 2019
- 6 min de lecture

Nous avons vu dans le billet précédent comment fonctionne un sol vivant, exempt de produits chimiques de synthèse. Nous allons maintenant voir comment la Révolution Verte a totalement chamboulé ce fonctionnement, jusqu’à altérer la qualité des vins. Ce qui suit est toujours basé sur les études approfondies de Claude et Lydia Bourguignon et leur ouvrage intitulé « Le sol, la terre et les champs » (Editions Sang de la Terre).
Le point de départ est un simple constat : la dégradation continue des sols agricoles dans le monde depuis les années 1960. Or, la dynamique de dégradation des sols suit toujours la même logique. On en revient aux « 4 drames » de la vigne décrits par Nicolas Joly tel que nous le rappelions dans le premier billet de cette série.
1ère étape : Dégradation biologique des sols
L’une des principales causes de dégradation des sols agricoles, et donc viticoles, sont les engrais. Dans l’après-guerre, il fallait faire quelque chose des grandes quantités d’azote et nitrates produits dans les usines pendant la guerre et il fallait augmenter les rendements pour faire face au manque de main d’œuvre qui n’était pas revenue de la guerre. Au même moment, des études scientifiques (on pense à Justus Van Liebig notamment) ont montré que l’utilisation d’engrais (azote, phosphore et potassium) permettait de booster les rendements. On a donc mis des engrais dans les champs, qui ont pour fonction de minéraliser la matière organique. Les problèmes arrivent à partir du moment où l’on rajoute toujours plus d’engrais sans jamais remettre de la matière organique dans les sols.
L’apport massif d’engrais sur un sol brûle la matière organique. En effet, l’excès d’azote favorise les bactéries, qui sont des organismes qui minéralisent la matière organique, au contraire des champignons qui fabriquent les humus. Or, les champignons se multiplient 20 fois plus lentement que les bactéries. La disparition progressive des champignons entraine donc un effondrement du taux de matière organique. Les sols français, entre 1950 et aujourd’hui, sont passés de 4% de matière organique à 2%.
La matière organique est également utile pour nourrir la faune (voir le billet précédent pour une description de la faune du sol). S’il n’y a plus de nourriture, la faune disparait à son tour. La France est ainsi passée de 2 tonnes de vers de terre à l’hectare à moins de 100 kilos aujourd’hui. Ce sont pourtant les vers de terre, comme nous l’avons vu dans le billet précédent, qui passent leur temps à remonter les éléments dans le sol, au contraire de l’eau de pluie qui lessive les sols jusqu’à la nappe phréatique et provoque ainsi leur pollution. S’il n’y a plus de faune pour remonter les éléments, ils sont tout simplement lessivés. Cette perte des éléments va également entrainer une acidification des sols. On rentre alors dans la deuxième phase de dégradation des sols : la dégradation chimique.
2e étape : Dégradation chimique des sols
En plus du lessivage des éléments dans le sol (dont les éléments qui permettent l’attache des argiles avec les humus : calcium, magnésium, fer…), l’utilisation des machines agricoles toujours plus massives et plus lourdes de la Révolution Verte a entrainé le tassement et le compactage des sols agricoles. Résultat : l’eau et l’oxygène ne rentrent plus dans les sols. D’où de nouveaux besoins d’irrigation des terres agricoles. Mais en quoi l’irrigation est un problème ? L’irrigation est faite à partir de l’eau des nappes phréatiques, qui sont au contact des roches. Cette eau, en fonction du type de roche, en vient à se charger en sels. Lorsqu’on irrigue les champs en été, la chaleur ambiante entraine l’évaporation de l’eau et laisse les sels dans les sols. Or, la plupart des plantes que l’on mange n’aiment pas le sel. C’est la salinisation des sols, responsable de 8 millions d’hectares de désert par an dans le monde.
3e étape : Dégradation physique des sols
Nous avons vu que le sol est un complexe qui relie les argiles avec les humus par des attaches électriques fragiles. Or, lorsque les éléments du sol sont lessivés, en particulier le calcium, le magnésium et le fer, il n’y a plus rien pour rattacher les argiles aux humus. C’est le chemin vers l’érosion : érosion éolienne (par exemple les grands nuages de poussière derrière les tracteurs, qui sont devenus la norme dans nos campagnes) et érosion hydrique (par la mise en suspension des argiles dans l’eau, qui ne sont plus retenus dans le sol, ce qui augmente au passage la force érosive de l’eau par l’augmentation de sa densité, et donc les dégâts que les inondations que nous connaissons peuvent causer). C’est la perte du patrimoine agricole qui part dans les rivières, qui deviennent totalement boueuses à la moindre inondation. Il suffit de voir le grand nombre de terres agricoles dont la profondeur du sol a diminué drastiquement depuis la Seconde Guerre mondiale, spectacle évidemment inconnu dans les villes mais fréquent dans les campagnes. Or, une fois que la charrue est sur le caillou, il ne reste plus rien pour permettre la culture… D’où également l’importance de ne jamais laisser une terre à nue, sans culture ou enherbement, qui permet de retenir la terre et empêche l’érosion.
De la durabilité de l’agriculture
On estime ainsi qu’en 6000 ans d’agriculture, l’homme a produit 2 milliards d’hectares de désert, dont un milliard d’hectares de désert a été produit en seulement 100 ans, à la suite de l’industrialisation de l’agriculture. Aujourd’hui, 10 millions d’hectares de sol sont dégradés chaque année. Il ne reste à l’heure actuelle que 1,5 milliard d’hectares pour 7 milliards d’habitants, chiffre qui ne fait que grandir. On voit bien le problème à terme : de moins en moins d’hectares cultivables indispensables pour nourrir une population grandissante.
Tout ceci pose la question évidente de la durabilité de l’agriculture dite « moderne », sans parler des carences alimentaires toujours plus importantes provenant notamment des cultures hors-sol qui nous nourrissent aujourd’hui et dont nous avons vu les limites dans le billet précédent. Et Lydia Bourguignon de citer une étude canadienne mettant par exemple en évidence que pour avoir le même apport en fer et en vitamine A contenus dans une orange produite en 1951, il fallait, en 1999 (imaginez aujourd’hui !), manger non pas 1 orange mais 8. Cet exemple est également valable pour les autres légumes et fruits de notre alimentation quotidienne, à des degrés plus ou moins divers (il existe plusieurs études en la matière). Qui dit carences alimentaires dit problèmes de santé en hausse, sans parler des besoins accrus en compléments alimentaires artificiellement rajoutés dans notre nourriture qui contient beaucoup moins d’éléments nutritifs qu’autrefois. Mangez 5 fruits et légumes par jour qu’ils disent. Bien compris. Mais cela correspond-t-il à 5 fruits et légumes de 1950 ou bien à plusieurs dizaines de fruits et légumes d’aujourd’hui, qui seraient l’équivalent en termes d’apports nutritifs ? Heuuuu… (biiiiiiip).
Mais bon, pas de soucis. Il parait que les fermes verticales (championnes toutes catégories de la culture hors-sol) sont la solution du futur. Nous sommes là des témoins privilégiés de la rencontre entre les savants incultes d’un côté et les cultivés ignorants de l’autre (je fais ici référence à l’analyse développée par Michel Serres sur le rapport actuel entre science et société – Je vous invite vivement à regarder la conférence suivante, passionnante, dans laquelle il développait cette analyse : https://www.youtube.com/watch?v=-vYRn7SBYoA).
Lydia et Claude Bourguignon, entre autres, tirent la sonnette d’alarme depuis 30 ans, chiffres de la FAO à l’appui, sur la chute des rendements agricoles dans le monde entier, avec une augmentation de la population mondiale en parallèle. On comprend mieux maintenant la citation de Michel Serres que je rapportais dans le premier billet de cette série sur la biodynamie, à savoir que, selon lui, « l’évènement le plus important du XXe siècle a été la disparition de l’agriculture en tant qu’activité pilote de l’humanité » ; nous n’avons « plus le même rapport au sol ». De là son raisonnement qui aboutissait à sa défense de « l’exception agricole ». Mais bon, on s’éloignerait trop du sujet principal qu’est la biodynamie. Lisez donc Michel Serres, si vous ne l’avez pas déjà fait, Le contrat naturel, tout çà...
Voilà, je m’arrêterai là sur le sol et la plante. Je n’évoquerai pas les techniques de réparation des sols agricoles développées par Claude et Lydia Bourguignon (bois raméal fragmenté, semis direct sous couvert, agroforesterie, rotation des cultures, etc.) ni les nombreuses critiques et tentatives de discréditation de leur travail, notamment quant à la question de savoir si le modèle qu’ils préconisent pourrait nourrir l’humanité ou non. Je vous renvoie à leur livre pour cela.
Le but jusqu’ici était de mieux comprendre comment fonctionne un sol, à quel point cette structure argilo-humique est fragile et comment la plante interagit avec son terroir, lorsque l’on n’empêche pas cette interaction. C’est à partir de cette base et de ces connaissances, notamment, que se développent les outils de la biodynamie. C’est ce que nous verrons dans le prochain billet. To be continued…
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