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POURQUOI LA BIODYNAMIE (4/4)



A partir des connaissances acquises sur le fonctionnement d’un sol et d’une plante, vues de manière résumée dans les billets précédents, tout le but de la biodynamie consiste à agir de manière active pour favoriser le bon fonctionnement du sol et de la plante et de prévenir au maximum tout dysfonctionnement (comme les maladies de la vigne ou les attaques de ravageurs par exemple). La vigne est accompagnée tout au long de son cycle végétatif en restant toujours attentif à ne pas tomber dans les travers qui pourraient aboutir à une dégradation de son environnement (voir les développements du billet précédent sur la dégradation des sols). Le terme « accompagnement » est important car c’est cela qui différencie la biodynamie de la culture bio, qui se contente de ne prescrire que les produits naturels qui peuvent être utilisés à la vigne et au chai et de combattre les dysfonctionnements seulement une fois qu’ils apparaissent.


Comme le rappelle le Mouvement de l’Agriculture Biodynamique (MADB), les pratiques spécifiques à la biodynamie s’articulent autour des trois principes fondamentaux suivants :


1. Concevoir la ferme comme un organisme agricole, une entité autonome et individualisée.

2. Utiliser des “préparations biodynamiques” : préparations à base de plantes médicinales, de bouse de vache et de quartz qui agissent énergétiquement pour l’équilibre du domaine.

3. Travailler avec les “rythmes cosmiques”, c’est-à-dire tenir compte des influences du Soleil, de la Lune, des planètes et du zodiaque.


Avis au lecteur : Ce qui suit est un résumé d’un certain nombre de lectures diverses et variées (je n’invente rien, forcément…). Etant donné la quantité de sources et d’informations, je ne cite pas toujours lesdites sources mais serais ravi de les fournir sur demande.


1/- La ferme comme un organisme agricole


La ferme biodynamique est conçue comme un organisme constitué d’organes spécifiques qui fonctionnent en interaction les uns avec les autres. Dans le cas d’un domaine agricole, ces organes sont le sol, les cultures diverses qui y poussent, les animaux sauvages et domestiques qui y vivent et les êtres humains qui y travaillent. Il faut y ajouter tous les éléments qui permettent à la biodiversité de se développer et donc de constituer un facteur essentiel de la stabilité de l’organisme agricole (i.e. les prairies, haies, forêts, cours d’eau, mares et autres aménagements paysagers naturels ou façonnés par l’homme). L’important est de chercher à trouver un équilibre. Qui dit équilibre proscrira, ou du moins tentera de limiter, la monoculture (ce qu’est pourtant la culture de la vigne), incompatible avec la méthode biodynamique. Là encore, c’est l’observation qui prime et chacun trouvera la solution qui lui convient le mieux en fonction de la physionomie de ses parcelles en empruntant, entre autres choses, à la permaculture et/ou à l’agroforesterie.


Certains, qui assimilent souvent le bio et la biodynamie par erreur d’ailleurs, pensent que cette promotion active de la biodiversité et de la prise en compte de l’exploitation dans son ensemble est aujourd’hui le propre de la certification « Haute Valeur Environnementale » de niveau 3. Or, il faut quand même rappeler que ce label n’existe que depuis 2010 (suites du Grenelle de l’Environnement de 2007 – donc postérieur de près d’un siècle aux premiers développements de la biodynamie) et que l’usage des pesticides et des engrais chimiques reste autorisé dans ce mode de culture. Et sans vouloir tomber dans les stéréotypes, quels sont les deux départements français qui comptent le plus de bénéficiaires du label HVE niveau 3 (de très très loin devant n’importe quel autre département…) ? La Gironde et la Marne. Tiens donc… Les importateurs étrangers de Bordeaux et de Champagnes se contentent volontiers de cocher la case « satisfaction sur le papier de la demande des consommateurs pour la biodiversité », sans aller chercher plus loin. Time is money guys


Nous l’avons vu, la faune et les microbes du sol permettent la transformation de la matière organique en humus et sa minéralisation. En forêt, la matière organique provient de la litière. Or, sur une parcelle de vignes, surtout quand elle n’est pas entourée d’arbres, la seule matière organique présente provient du bois de taille et des feuilles de vigne. D’où le besoin d’amender les sols viticoles, par le biais du compost. Précision : contrairement à une idée reçue, le compost nourrit le sol et non la plante, en alimentant le sol en matière organique. Il s’agit de rassembler en tas les pailles, les excréments des bêtes, les bois de taille et toute la matière organique de la ferme pour faire fermenter le tout en aérobiose. Le résultat (lorsque la technique est maitrisée, ce qui est loin d’être simple) sera une formation d’humus, de faune épigée et de champignons de l’humification, que l’on épandra sur la parcelle à l’automne pour l’amender.


On revient en réalité à l’équilibre agro-sylvo-pastoral (le champ, la forêt, les animaux), dont Claude Bourguignon nous rappelle (parce qu’on l’a oublié sur l’autel du « progrès ») qu’il constituait le fonctionnement normal d’une exploitation agricole jusqu’à la moitié du XXe siècle, avant que l’on ne passe à la monoculture. On ne fait donc que revenir au bon sens d’avant-guerre. Ce n’est pas un « retour en arrière », comme certains s’empresseront de le souligner, mais plutôt une « remise en bonne marche ».


En plus d’être utiles au compost, les animaux ont également d’autres fonctions et utilités multiples. Regardez les vignes de Didier Barral en Languedoc. Il y a introduit un nombre important d’animaux (chevaux, ânes, brebis, cochons, vaches, parmi lesquelles des salers, des jerseys, des aurochs...) qui circulent librement dans les vignes en hiver, lesquelles ne sont pas palissées. Les excréments de ces animaux permettent de stimuler grandement l’activité organique des sols. Autre exemple, les moutons introduits dans les vignes une fois le cycle végétatif terminé sont des tondeuses et des fertilisants gratuits tout au long de l’hiver.


Nicolas Joly souligne qu’il « faut comprendre que chaque animal a une originalité à offrir qui conviendra mieux à un endroit ou à un autre. Chaque plante aussi. Les possibilités sont immenses ».


2/- Les préparations biodynamiques


Les préparations biodynamiques sont l’un des éléments essentiels qui différencient la biodynamie des autres modes de culture. Elles visent à stimuler les processus de vie dans le sol et les plantes. J’ai bien dit « stimuler », car les pourfendeurs de la biodynamie arguent souvent du fait que les préparations sont utilisées à trop faible dose pour avoir un quelconque effet. Mais s’arrêter là serait simplement ne pas chercher à comprendre… Ces préparations ne sont pas utilisées comme substituts mais comme stimulants. En d’autres termes, on ne cherche pas à influer sur la matière mais plutôt sur les énergies qui forment la matière. A condition d’avoir un sol vivant bien sûr, parce que stimuler un sol mort revient à multiplier n’importe quel nombre par zéro (le résultat sera toujours le même…). Les préparations agissent comme des catalyseurs de forces, en mettant l’accent sur des récepteurs d’informations. Lors de son Cours aux Agriculteurs, Steiner présenta deux préparations à pulvériser sur le sol et les cultures et six préparations à introduire dans les composts ou (comme cela a été développé après Steiner) à pulvériser par l’intermédiaire des composts de bouse (CBMT) ou de la bouse de corne préparée (500P).


Les deux préparations principales à pulvériser sont la bouse de corne (dite préparation 500) et la silice de corne (dite préparation 501) :


- la bouse de corne consiste à enterrer pendant l’hiver des cornes de vache (vidées de leur cartilage) remplies de bouse de vache (qui ne proviennent pas de vaches à hublots, faut-il le préciser…). Lorsqu’on déterre le tout au printemps, on brasse la bouse fermentée dans de l’eau tiède pendant une heure, à l’aide d’un dynamiseur. Le but du dynamiseur est de créer un vortex dont on modifie la rotation chaque minute en créant un chaos, ce qui permet à l’eau de s’imprégner de toute l’énergie de la préparation et du milieu. Après filtration, on pulvérise à grosses gouttes (idéalement en fin d’après-midi en jour racines) une centaine de grammes dans un volume de 30 à 50 litres d’eau par hectare, sur le sol de la parcelle. Cette préparation favorise la vie microbienne, la structure du sol et la formation d’humus. On peut également observer qu’elle renforce la croissance des racines et leur développement en profondeur, permettant ainsi une meilleure résistance à la sécheresse et une meilleure valorisation du terroir.

Pourquoi une corne de vache et non une corne de licorne me direz-vous ? Encore une fois, l’observation. Sans rentrer dans plus de détails (notamment les liens entre la corne et le système digestif de la vache), je soulignerai juste la chose suivante : Lorsqu’il s’est mis à pratiquer la biodynamie au début des années 1980, Nicolas Joly était tout aussi sceptique que n’importe quel autre vigneron qui s’initie à cette pratique. Il a donc, de manière tout à fait pragmatique, enterré ses bouses de corne et, à côté, a enterré la même bouse mais dans des pots en terre cette fois. Une fois le tout déterré au printemps suivant, il a envoyé un échantillon de chaque bouse à un laboratoire. Surprise ! Le laboratoire lui a trouvé 70% de vie microbienne en plus dans la corne de vache par rapport au pot de terre…


- la silice de corne consiste à broyer très finement des cristaux de quartz (ou de feldspath ou d’orthose, qui sont moins brûlants que le quartz) que l’on enterre sous terre dans des cornes de vache (vidées de leur cartilage), pendant la période d’été. Une fois déterrés, les cristaux sont mélangés à de l’eau de pluie, et le tout est dynamisé de la même manière que la préparation 500. La préparation est ensuite pulvérisée au petit matin au-dessus du feuillage des vignes, idéalement en jour fruits, à hauteur de 4 grammes par hectare. Les effets observés sont notamment une amélioration de la photosynthèse et de la structuration interne des végétaux, un meilleur équilibre de la croissance des plantes et un renforcement de la résistance aux maladies, en particulier les maladies cryptogamiques.


Pierre Masson, grand contributeur à la connaissance de la biodynamie, a fait de nombreuses expériences sur les effets en pratique des préparations biodynamiques. Il est assez édifiant d’observer, sur les nombreux clichés qu’il a pu prendre, à quel point un sol biodynamique est généralement plus brun et plus granuleux qu’un sol identique en bio (on ne parle même pas de conventionnel) et à quel point la couleur du feuillage de la vigne est plus soutenue en biodynamie. Eh oui, on ne fait pas de la biodynamie seulement pour chercher une amélioration du goût des vins (qui peut être plus ou moins évidente au fil des ans, parfois assez subtile ou inexistante pour certains). Mais je n’ai tout de même pas boudé mon plaisir lorsque j’ai pu lire les propos récents d’Olivier Poussier (meilleur sommelier du monde 2000 – star parmi les stars dans le milieu) selon lesquels ses « plus belles émotions gustatives proviennent de vins issus de la viticulture en biodynamie ».


Viennent ensuite les préparations que l’on mélange au compost (dites préparations 502 à 507), élaborées à partir de plantes médicinales (achillée millefeuille, camomille matricaire, ortie, écorce de chêne, pissenlit et valériane). Sans rentrer dans les détails là-encore, ces préparations visent à favoriser l’évolution des composts en limitant la montée en température et en diminuant les pertes d’éléments comme l’azote. Elles améliorent la disponibilité des substances dans le sol (nitrates, phosphates, etc.).


S’ajoutent enfin aux préparations 500 à 507 de nombreuses formules que chaque producteur peut créer pour répondre à des besoins spécifiques (bouse de corne d’après Maria Thun, tisanes et décoctions de plantes diverses choisies pour leur composition chimique ou leurs propriétés, etc.). La biodynamie, il faut le rappeler, a pour but d’être un espace de liberté, et non un carcan administratif. Le vigneron s’impose simplement un minimum de choses à ne pas faire (pour les raisons que nous avons vues), mais à partir de là, la liberté est totale et infinie.


3/- Les influences cosmiques


Si l’on n’a pas déjà décroché à ce stade, c’est en général l’élément cosmique qui attise le plus de scepticisme, voire de moqueries. C’est pourtant le résultat de nombreuses expériences menées par de nombreux chercheurs tout au long du XXe siècle. Rudolf Steiner, dans son Cours aux Agriculteurs, avait déjà souligné l’influence du cosmos sur la vie des plantes et des animaux : influence du Soleil, de la Lune, des planètes du système solaire et également du zodiaque (je rappelle aux décrocheurs potentiels que l’on parle ici d’astronomie, et non pas d’astrologie, qui sont deux choses bien différentes…). La Terre fait partie d’un système solaire dont les éléments communiquent entre eux à travers des fréquences et longueurs d’ondes multiples.


A ce titre, l’influence de la gravitation (phénomène physique que cause l’attraction réciproque des corps massifs entre eux, sous l’effet de leur masse) exercée par le Soleil et la Lune sur la Terre est une illustration de nature physique de cette influence du cosmos. C’est la force gravitationnelle qui provoque les marées et qui agit sur la dynamique des courants de sève chez les plantes. Mais les forces dont la biodynamie tente de tirer profit ne sont pas seulement de nature physique. De nombreux chercheurs (citons, entre autres, Alex Podolinsky, Lily Kolisko, Hartmut Spiess, Maria Thun, Brown et Chow, Kollerstrom et Staudenmaier, Ernst Zürcher), à la suite de Steiner, ont mis en évidence les liens qu’entretiennent les processus du vivant avec différents rythmes cosmiques : en ce qui concerne la germination des plantes, leur croissance, la floraison, etc.


Ces rythmes cosmiques sont multiples. Le rythme le plus évident et qui nous influence au quotidien est bien sûr le rythme solaire annuel (entre deux solstices), qui détermine les saisons, et quotidien, qui détermine les alternances du jour et de la nuit. Pierre Masson précisait que « l’agriculture biodynamique est avant tout une agriculture solaire. Le rythme solaire est primordial. La lumière et la chaleur du Soleil sont les facteurs principaux qui régissent le climat et l’activité des plantes au travers de la photosynthèse, les rythmes lunaires et planétaires ne s’exprimant que de manière secondaire ». Si l’on rentre plus dans les détails, on peut également identifier les rythmes suivants liés à la Lune :


- le rythme lunaire synodique : cycle de 29,531 jours, qui mesure le passage d’une nouvelle Lune (la conjonction de la Lune avec le Soleil) à la pleine Lune - phase dite « croissante » - pour parvenir à la nouvelle Lune suivante - phase dite « décroissante » ;

- le rythme lunaire tropique : cycle de 27,32158 jours dit de la « Lune montante » et de la « Lune descendante » qui concerne la hauteur de la trajectoire lunaire par rapport à l’équateur céleste ;

- le rythme lunaire sidéral : cycle 27,32166 jours qui se rapporte aux constellations du zodiaque devant lesquelles la Lune passe durant sa révolution autour de la Terre ; ou encore

- la révolution anomalistique : période de 27,55 jours due à la forme elliptique et décentrée de la trajectoire lunaire, qui passe alternativement et à des vitesses variables à proximité de la Terre (c’est le périgée) et à une distance maximale (c’est l’apogée).


Les prises en compte de ces cycles pour le travail à la vigne et en cave sont nombreuses. Par exemple, ces cycles expliquent les moments privilégiés pour le passage de la 500 (en fin d’après-midi) et de la 501 (en tout début de journée). Autre exemple, un binage du sol à une date précise pourra rendre les micro-organismes du sol plus sensibles à la situation choisie. On peut également citer un concept dont on entend souvent parler en viticulture mais dont on connait rarement l’origine. Je veux parler des fameux jours « racines », « feuilles », « fleurs », et « fruits ». Pour faire court, cette distinction provient des nombreuses expériences menées par Maria Thun sur les influences du rythme lunaire sidéral, c’est-à-dire les influences que génère la position de la Lune par rapport aux différentes constellations du zodiaque (Taureau, Vierge et Capricorne en lien avec les racines, Poissons, Cancer et Scorpion en lien avec les feuilles, Verseau, Gémeaux et Balance en lien avec les fleurs, et Bélier, Lion et Sagittaire en lien avec les fruits). Selon Maria Thun, la qualité du jour en question est à prendre en compte en fonction de l’organe de la plante que l’on souhaite développer. Ceci étant dit, les biodynamistes sont bien conscients que les théories de Maria Thun ne sont pas des lois saintes et qu’il y a là un champ de recherche important à explorer, étant donné le croisement du cycle sidéral avec les autres rythmes lunaires et planétaires.


Dans la pratique, les observations des différents chercheurs (cités plus haut pour certains) sont traduites dans des “calendriers des semis”, avec des indications pratiques pour les différents travaux agricoles : périodes de semis, de plantation ou de travail du sol, moments favorables pour la taille, la récolte, la vinification, etc. Mais, comme le rappelait Pierre Masson, « le sens de l’agriculture biodynamique est de développer des capacités d’observation, de perception et d’intuition pour agir au moment juste. Le travail de l’agriculteur ne peut donc pas être conditionné par une série de recettes tirées d’un calendrier établi d’avance. Il est donc essentiel de se souvenir que pour les travaux du sol, les semis et le passage des préparations biodynamiques, le plus important est de prendre d’abord en compte l’état du sol, les besoins de la plante et les conditions météorologiques locales qui doivent prévaloir sur les indications du calendrier des semis ».


Jean-François Coche-Dury, par exemple, star de Meursault (non certifié en biodynamie, je précise), met son vin en bouteille en Lune descendante. Environ 45000 bouteilles chaque année remplies directement depuis les fûts (à la chèvre à deux becs, après collage au blanc d’œuf, comme le faisait Henri Jayer) et bouchonnées à la main. En Lune montante, il constate une augmentation de la pression dans les fûts, plus de dilatation, ce qui peut troubler le vin de nouveau. Alors qu’en Lune descendante, c’est le calme et le vin est plus stable, ce qui est recherché pour la mise en bouteille. « Quand on est passionné de grands vins, on reste sur des vieilles méthodes », témoigne-t-il.


En résumé, comme le rappelle Nicolas Joly, « la biodynamie, là où elle est appliquée avec sérieux [point essentiel !], recrée les liens entre la Terre et les systèmes solaire et stellaire qui lui donnent vie ».


Le rôle fondamental de l’observation


On ne le soulignera jamais assez, en biodynamie (comme en agriculture de manière générale diront certains), l’observation est fondamentale. Il s’agit avant tout d’apprendre à observer sa culture et les interactions de celle-ci avec son environnement. Je prendrai deux exemples très concrets pour illustrer ce point.


1er exemple : Olivier Humbrecht (du domaine alsacien Zind-Humbrecht) a observé qu’en rognant ses vignes en phase de croissance, il en résultait une vigueur accrue. Pourquoi ? Au bout de chaque branche de chaque cep, il y a un bourgeon terminal (l’apex). Ce bourgeon terminal est celui qui produit les hormones de croissance de la vigne. Or, en coupant l’apex en phase de croissance de la vigne, celle-ci aura tendance à réveiller tous les bourgeons latents à la base de chaque feuille, ce qui va provoquer une poussée accrue des entre-cœurs, un étouffement des grappes et donc une nouvelle obligation de rogner la vigne 15 jours plus tard. Selon Olivier Humbrecht, cela maintient artificiellement la vigne dans une phase de pousse excessive. L’apex principal non écimé meurt en principe naturellement vers la mi-juillet, arrêtant complètement la pousse des feuilles et favorisant la concentration des raisins. Il a donc cessé de rogner ses vignes, tout comme Thierry Germain (du Domaine des Roches Neuves), Lalou Bize-Leroy et bien d’autres.


2e exemple : En 1995, le vignoble de Didier Barral (AOC Faugères en Languedoc) a souffert d’une sécheresse excessive. A la dégustation des cuves de ce millésime, il a constaté que 3 cuves se goûtaient mieux que toutes les autres. Après analyses, il s’agissait des cuves dont le vin avait le plus d’acidité. Pourquoi ? Cette année-là, c’est resté un mystère. Ce n’est qu’au moment des labours de l’année suivante qu’il s’est rendu compte que les raisins plus acides desquels provenait le vin des cuves en question, venaient de vignes qui étaient croisées au labour (labour dans deux sens différents). Les autres vignes n’étaient labourées que dans un seul sens. En labour unique, l’eau de pluie, au lieu de pénétrer dans le sol, suit le sillon. En labour croisé, au contraire, l’eau pénètre plus facilement dans les sols. Il a alors compris qu’il y avait un lien entre la perméabilité des sols et l’acidité dans les raisins. Cela a été la première observation effectuée par Didier Barral, qui, par d’autres observations successives, en est venu par la suite à abandonner le labour et à introduire de nombreux animaux en hiver dans ses parcelles non palissées (ce qui a, entre autres, quasiment quadruplé la population de vers de terre dans ses parcelles en 10 ans).


Conclusion


La biodynamie n’est finalement ni plus ni moins que la recherche du vin vrai, c’est-à-dire un vin de lieu qui en retranscrit pleinement toutes les spécificités et qui en fait un produit unique. Un vin qui n’est pas trafiqué par des artifices industriels arbitraires qui sont les mêmes dans le monde entier (et dont le consommateur n’a aucune connaissance) et qui n’ont pour corollaire que de faire des produits standardisés, sans identité propre ni âme. Attention, cela ne signifie pas que tout vin technologique est mauvais. Beaucoup de ces vins sont très bons, voire excellents. Ce ne sont simplement pas des vins de lieu.


Trop de responsables de domaines viticoles justifient aujourd’hui leur conversion en biologie par le fait que « c’est ce que les consommateurs attendent », sans se poser plus de question. On se convertit au bio parce qu’aujourd’hui c’est ce qui se vend, en gros… Si on ne fait du vin que pour faire de l’argent, ça suffit amplement. Faut pas pousser le bouchon !


Et le soufre, me direz-vous ? Avant d’écrire cette série de billets sur la biodynamie, je m’étais promis de raccourcir la longueur de mes billets. C’est visiblement un échec. J’aborderai donc cette question du soufre dans un autre billet, parce qu’il y a beaucoup à dire. Mais sachez simplement que soufre et biodynamie ne sont pas incompatibles. La question que l’on pose généralement dans le monde du vin est la suivante : soufre ou pas soufre ? Mais, comme le souligne justement Nicolas Joly, on oublie toujours de se poser la question préliminaire qui doit être : quel soufre ? (et aussi pourquoi ? accessoirement…). Ce n’est qu’ensuite que l’on se posera la question de la quantité. On y reviendra…


Je réalise également que je n’ai même pas parlé de l’importance du matériel végétal. Ce n’est pas tout de bien traiter sa vigne, encore faut-il que sa vigne soit bien née. Les très grands vins viennent de matériel végétal exceptionnel. Or, quand on sait que, depuis de nombreuses années, 95% des nouveaux plants sont des clones greffés à la chaîne en oméga, on se rassure en se disant qu’il y a quand même quelques types qui cogitent pour sortir de l’ornière. Je pense à Lilian Bérillon, Jean-Pierre Berlan et d’autres.


S’il est enfin une chose à retenir, souvent mal comprise par les pourfendeurs de la biodynamie, c’est que la biodynamie n’est pas un livre de recettes obligatoires qui enferment dans un carcan. A ce titre, Nicolas Joly met toujours en garde contre la « biodynamie recette ». Le Mouvement de l’Agriculture Biodynamique le rappelle à juste titre : « N'oublions pas que l'agriculture biodynamique ne se résume pas qu’à une succession de techniques. Il s'agit avant tout de travailler au développement de sa propre sensibilité aux phénomènes de la nature et de créer un lien avec son environnement proche. A l'aide de cette sensibilité, de ce lien et de l'intention juste mise dans tous ses actes, il devient possible d'apporter du soin au jardin en dépassant les simples recettes ». La littérature abondante utilisée par les biodynamistes n’est pas un grand livre de recettes (et encore moins les calendriers des semis comme nous l’avons vu), mais une source d’inspiration constante à la créativité du paysan. Ah ! C’est compliqué alors… Elémentaire mon cher Watson. Et à ceux qui accusent les biodynamistes de sectaires, je dirais simplement que la biodynamie n’a pas le monopole du bon sens. Cela va de soi…


Finalement, du charlatanisme la biodynamie ? Si c’est comme cela qu’on appelle le bon sens paysan de nos jours… « C’est toujours très dur d’expliquer ce qu’on fait. Comment veux-tu parler d’une plante à quelqu’un qui habite en ville et qui n’a jamais observé de plante de sa vie ? » C’est Doc Gynéco qui a dit ça ? Non, Dominique Lafon (en s’adressant à Jonathan Nossiter), vigneron bourguignon (converti à la biodynamie depuis longtemps) vénéré par tous les amateurs de grands vins du monde…

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