QU’EST-CE QU’UNE AOC ? QUESTION PIEGE…
- Ouvalevin
- 18 mars 2019
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 mai 2019

Je vous entends déjà. Facile… Pour avoir la réponse à cette question, il suffit de savoir lire ! Tu vas sur Google, tu tapes « définition AOC », tu lis le résultat et tu rentres à la maison. Certes. Mais l’idée est bien sûr de pousser un peu l’analyse.
Quand on est juriste de formation, comme moi, l’une des premières choses que l’on apprend dans la pratique lorsqu’on est confronté à une question à laquelle on n’a pas forcément la réponse, c’est de revenir à la base, c’est-à-dire aux textes. Commençons donc par le début.
Le Code de la consommation* (accroche toi, ce ne sera pas long…) définit l’Appellation d’origine** comme « la dénomination d'un pays, d'une région ou d'une localité servant à désigner un produit qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus au milieu géographique, comprenant des facteurs naturels et des facteurs humains ». Chaque appellation est régie par un cahier des charges qui est sanctionné par un organisme de contrôle.
On parle bien d’un produit « dont la qualité et les caractères sont dus au milieu géographique », c’est-à-dire d’un vin (ce billet se limite évidemment au vin) dont le goût et les caractères sont propres au milieu où il a été fabriqué, et donc par définition uniques.
Les facteurs naturels : le terroir comme unité de l’Appellation d’origine
Premier élément de la définition d’Appellation d’origine à préciser : les « facteurs naturels » du milieu géographique. La loi française ne précise pas ce terme. C’est ici l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO) qui nous vient en aide. L’INAO précise sur son site internet que « c’est la notion de terroir qui fonde le concept des Appellations d’origine ». Nouvelle question donc : qu’est-ce qu’un terroir ? Là encore, c’est le vide légal et règlementaire. Il n’existe pas de définition officielle du terme terroir pour les besoins de la définition d’une AOC. L’INAO s’aventure à définir ce terme mais sa définition, vous en conviendrez, est un peu vague***.
Nous nous en remettrons donc à une autre définition plus scientifique, celle des agrologues (c’est comme cela qu’ils préfèrent s’appeler) Claude et Lydia Bourguignon****. Selon cette définition, le terroir c’est 4 éléments : le sous-sol (la roche mère), le sol (la partie entre la roche mère et la surface), le climat (pluviométrie, lumière et chaleur) et la topographie (le relief du lieu géographique considéré). Chacun de ces éléments a une influence directe et évidente sur la confection du produit final qu’est le vin. Un terroir provençal n’aboutira évidemment pas à un profil de vin similaire à celui d’un vignoble septentrional (Alsace ou Bourgogne par exemple). Les cépages ne sont d’ailleurs pas les mêmes, justement parce que certains sont plus adaptés à certains terroirs qu’à d’autres. Essayez-vous à planter du mourvèdre (cépage provençal par excellence, à maturité tardive) en Alsace et vous comprendrez votre douleur.
Les facteurs humains : le travail du vigneron
Les « facteurs humains » du milieu géographique sont quant à eux plus facilement identifiables. Il s’agit de l’action de l’homme dans la fabrication du vin, du travail de la vigne aux actions au chai, en suivant un savoir-faire établi plus ou moins traditionnel. Au-delà des « usages locaux, loyaux et constants », la liberté est de mise. Comment traiter sa vigne pour la protéger des aléas climatiques et des maladies ? Vendanges manuelles ou à la machine ? Quel type de vinification adopter ? Utilisation de la vendange entière ? Pour quel type de macération ? Quel type de contenant adopter pour l’élevage ? Pendant combien de temps ? Combien de soutirages ? Collage ou non ? Filtration ou non avant mise en bouteille ? Quel type de filtration ? Les décisions du vigneron sont très nombreuses et laissées à sa discrétion, tant qu’il respecte le cahier des charges de l’Appellation bien sûr, lequel sera plus ou moins stricte selon le degré d’exigence de celle-ci.
De la théorie à la pratique
Pour rappel, le concept d’AOC a été inventé au début du XXe siècle pour lutter contre la fraude et la tromperie du consommateur qui sévissaient à cette époque. Le consommateur devait avoir l’assurance de l’origine du produit et de ses méthodes de fabrication, et ne plus être trompé par des vins se revendiquant d’une région particulière alors qu’ils ont été coupés à son insu avec des raisins provenant de l’autre bout du territoire national ou même d’un autre pays.
Chaque Appellation a son cahier des charges, qui définit précisément la zone géographique pouvant s’en revendiquer, le terroir concerné et toutes les consignes que le vigneron doit suivre pour pouvoir finalement apposer le précieux sésame sur sa bouteille. L’idée étant toujours d’aboutir à un produit unique et spécifique au milieu géographique concerné. C’est ce qu’on appelle un vin de terroir, qui en reflète toutes les caractéristiques uniques.
Tout ça, c’est la théorie de départ. Mais le résultat final est-il toujours conforme à la théorie de départ ? La question est ici de savoir comment, en pratique, passe-t-on de vignes cultivées selon le cahier des charges imposé à un vin qui en retranscrit pleinement la provenance ? Avant d’aller plus loin, une précision s’impose. Lorsqu’on parle de « vin de terroir », on ne parle pas d’un goût unique que pourrait transmettre un terroir défini au vin. Le goût d’un terroir, ça n’existe pas. Si vous mettez deux vignerons sur un même terroir avec à disposition des vignes similaires, vous n’aurez jamais le même vin à la sortie. Tout simplement parce que chacun aura fait des choix qui lui sont propres tout au long du processus, de la culture de la vigne au processus de transformation du jus de raisin en vin et à son élevage. Il paraît donc plus juste de parler de l’« interprétation » d’un terroir par un vigneron, plutôt que de « goût d’un terroir » (qui sous-entend un goût unique). Mais pour pouvoir aboutir à l’expression d’un terroir, encore faut-il laisser s’exprimer ce qui le caractérise. Cela semble relever du bon sens. Euh… vraiment ?
De la vigne…
Dans sa parcelle, sur quels éléments le vigneron a-t-il le pouvoir d’influer (et donc, par corollaire, le pouvoir de dégrader) ? Revenons aux quatre éléments de la définition du terroir. L’homme a-t-il une influence sur le sous-sol de sa parcelle ? Pas vraiment. Si vous avez une roche sédimentaire, magmatique ou métamorphique en sous-sol, vous n’y pouvez pas grand-chose et vous devez faire avec. Le climat ? Non plus. Si l’humanité dans son ensemble ne se prive pas de polluer la Terre et de dérégler le climat avec allégresse et inconscience, le vigneron n’a cependant guère de pouvoir sur le microclimat de sa parcelle de vignes. Il se contente là aussi de faire avec en adaptant son travail au grès des millésimes. La topographie ? Encore une fois, à part creuser des terrasses pour bénéficier d’une bonne exposition sur un terroir en pente drainant, on ne construit ou ne défait pas une montagne à coups de pelle de vigneron. Reste donc le sol.
Claude et Lydia Bourguignon nous ont appris ce qu’est un sol, comment cela fonctionne, à quel point cette structure argilo-humique est complexe et fragile, le rôle d’un terroir sain dans la transmission du goût, ou encore comment les produits de synthèse, les pesticides et autres engrais chimiques détruisent les sols et les liens que la plante entretient avec le terroir. Il serait ici trop long d’en faire un résumé. Je vous renvoie plutôt à leur ouvrage, qu’à mon sens tout véritable amoureux du vin devrait avoir lu*****, et à la vidéo suivante****** qui en est un résumé. Après ça, un vigneron qui utilise herbicides, fongicides et insecticides (la totale quoi) et qui vous parle de ses vins de terroir ne pourra que vous faire rire.
Pour rappel, Claude et Lydia Bourguignon sont deux agroloques (rejoints aujourd’hui par leur fils Emmanuel) spécialistes de la microbiologie des sols qui, depuis 30 ans, travaillent au service des agriculteurs (et non pas reclus dans un laboratoire obscur) et ont conseillé de très nombreux domaines dans leur conversion vers le bio ou la biodynamie. Parmi ces domaines figurent la Romanée-Conti, Leflaive, Dujac, Jean-Louis Chave, Alain Graillot, Beaucastel, Troplong-Mondot, Canon La Gaffelière, Le Puy, Selosse, Huet, Dagueneau, Elio Altare, Vajra, Pingus, Vega Sicilia, Harlan Estate, entre autres. Sacré palmarès !
… au chai
Lorsqu’un vigneron levure son moût, c’est-à-dire inhibe les levures indigènes qui sont imprégnées de toutes les caractéristiques du terroir et du millésime, et qui sont naturellement présentes sur la peau des raisins (lorsqu’il en reste après les carnages de la chimie à la vigne) et dans le milieu ambiant où se déroule la vinification, pour y substituer des levures industrielles sélectionnées, qui sont bien souvent des levures aromatiques, le vigneron cherche-t-il encore à interpréter le goût de son terroir ? On est en droit de se poser la question. Une levure aromatique sélectionnée va en effet attribuer un goût arbitraire au produit final, qui n’a plus rien à voir avec son lieu géographique d’origine. On peut utiliser ces levures à Sancerre, à Bandol, à Chablis, en Californie, en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud ou encore en Argentine. Si bien qu’il devient difficile de faire la différence entre un cabernet de Bordeaux et un cabernet du Chili ou d’Argentine. Acidification artificielle du vin, désacidification, osmose (action de concentrer le jus en retirant de l’eau) … les techniques d’intervention œnologique arbitraires sont nombreuses, souvent utilisées à titre de « correction » pour pallier à un élément qui ne se déroule pas comme souhaité, ou pour rassurer un producteur soucieux de ne pas prendre de risques avec sa récolte. Les défauts et le besoin de les corriger sont cependant souvent le résultat direct d’une culture imprudente voire désastreuse de la vigne. Si on fait disparaître les levures indigènes à cause des nombreux produits de synthèse pulvérisés sur la vigne pendant des mois, il faudra forcément rajouter des levures sélectionnées pour pouvoir déclencher et terminer la fermentation alcoolique. A ce titre, les viticulteurs en biodynamie soulignent généralement qu’ils ne rencontrent quasiment jamais de problème de départ de fermentation. Henri Jayer disait qu’il était important d’apprendre l’œnologie pour savoir ne pas s’en servir. Une phrase à méditer…
Vers un retour à l’idée originelle
Depuis les années 1970, pour pouvoir bénéficier de l’AOC, un vin doit passer par un comité d’agrément. C’est-à-dire qu’il doit être dégusté par un comité, qui décidera s’il est conforme ou non et mérite l’AOC. Ce faisant, on est passé avec le temps « de l’élimination du défaut à l’élimination du différent »*******. C’est-à-dire qu’on en est aujourd’hui arrivé à la situation absolument ahurissante où le vin d’un vigneron qui fait tout pour respecter son sol, son terroir et ses vignes est parfois rejeté en comité d’agrément, pour la simple raison qu’il est jugé trop différent des vins mort-nés issus de l’agriculture conventionnelle et qui en sont venus à former le « profil type » de l’Appellation. Pour ne citer que deux exemples parmi les plus connus, Jean-Pierre Amoreau, du désormais célèbre Château Le Puy (en appellation Francs Côtes de Bordeaux), consacré aux yeux du monde entier par le célèbre manga Les Gouttes de Dieu, a vu ses vins retoqués à plusieurs reprises par le comité d’agrément, jugés trop atypiques. Mark Angeli, de la Ferme de la Sansonnière (grand domaine de Loire pour tous les amoureux du chenin), a quant à lui carrément claqué la porte des appellations à force de voir ses vins biodynamiques quasi systématiquement rejetés et critiqués par les comités d’agrément, tout en étant fortement prisés par les plus belles tables du monde et les plus grands sommeliers. Richard Leroy, autre grand nom de Loire, a dit être « sorti des règles de l'appellation car elles ne protègent plus le consommateur ».
La seule issue possible en dehors des AOC (et des IGP) est alors la catégorie générique des « Vins de France ». C’est le choix qu’a fait Mark Angeli, qui ne présente plus ses vins en comité. Avec plus de 200 autres vignerons du monde entier, il fait partie de l’association « Renaissance des Appellations »******** (le nom est assez clair sur les intentions), créée en 2001 à l’initiative de Nicolas Joly (domaine de la Coulée de Serrant), le pape de la biodynamie en France. Ce groupe est formé exclusivement de domaines en biodynamie, tous certifiés au minimum en bio (garantie pour le consommateur), dont le but est un retour à la pleine expression des appellations. Pour cela, l’association s’est dotée d’une charte très stricte : travail des sols, exclusion des désherbants, exclusion des plants génétiquement modifiés, exclusion de l’osmose inverse ainsi que de tout traitement physique ou chimique visant à réduire l’acidité volatile, respect des processus de fermentation naturelle, etc. Et nous ne parlons pas ici de baba cools soixante-huitards qui se regrouperaient entre eux en marge du système. L’association regroupe de nombreux domaines qui sont la fine fleur de la viticulture mondiale. Jugez plutôt : Coulée de Serrant, Lalou Bize-Leroy, domaine d’Auvenay, Leflaive, Trapet, Comte Armand, A&P de Villaine, Marcel Deiss, Zind Humbrecht, Ostertag, Clos du Rouge Gorges, Gourt de Mautens, Comte Abbatucci, Clau de Nell, domaine de l’Ecu, Tissot, Camin Larredya, Foradori, Emidio Pepe, Jakob Kühn, Marie-Thérèse Chappaz, pour ne citer que ceux-là !
Aujourd’hui, les initiatives sont nombreuses pour tenter de revenir à l’esprit d’origine des AOC (cher au célèbre baron Pierre Le Roy et au sénateur Joseph Capus, deux grandes figures de la législation des AOC), à la pleine expression du goût qu’un terroir peut donner à un vin. Le mouvement initié par certains commence à faire tache d’huile. Regardez l’AOC corse Patrimonio (dont font partie Antoine Arena et ses fils au passage), dont les vignerons viennent de voter à l’unanimité l'interdiction des désherbants chimiques de synthèse et sa future inscription dans le cahier des charges lors d'une assemblée générale fin février 2019. Ou encore l’association « Vignerons et Terroirs de Lantignié », créée en mai 2017 par des vignerons de Lantignié (en AOC Beaujolais-Villages) qui a établi un règlement intérieur dont le but est d’interdire purement et simplement l’utilisation de tous les produits chimiques de synthèse par les producteurs du village, en vue d’une montée en gamme des vins et, peut-être, la reconnaissance à terme d’un nouveau cru du Beaujolais.
Dans une lettre adressée à la presse spécialisée et à la fédération viticole d’Anjou et de Saumur début 2019, Mark Angeli, sorti de l’appellation Anjou depuis les années 2000, milite aujourd’hui en faveur de la mise en place d’un nouveau cahier des charges, bien plus stricte que celui qui existe actuellement pour l’appellation générique. Un comble !
Conclusion
Le but de ce billet n’est évidemment pas de dire qu’un vin technologique est un vin mauvais et qu’un vin biodynamique est un bon vin. Le débat n’est pas là. Un vin provenant de l’agriculture conventionnelle peut être bien fait, et bon voire très bon. Mais cacher les origines de ce vin au consommateur en le vendant comme un vin de terroir est une tromperie. L’AOC devrait justement être là pour pallier cette injustice. C’était en tous cas son but originel.
Depuis quelques années, le bio et la biodynamie sont dans un élan absolument incroyable pour ceux qui l’ont initié sur le terrain dans les années 1970 dans l’anonymat (et souvent les moqueries) le plus complet. Les conversions ne cessent d’augmenter, le thème fait de plus en plus la une des magazines spécialisés et de plus en plus d’amateurs se rendent compte que même si la plupart de leurs producteurs de vin préférés n’en ont jamais fait la publicité, cela fait longtemps qu’ils se sont convertis. Certains continuent de voir cela comme une simple mode, alors qu’il s’agit de notre santé, de la qualité d’un produit naturel et de la durabilité de notre agriculture sur le long terme.
Pour finir en juriste, l’article L. 665-6 du Code rural et de la pêche maritime dispose que « le vin, produit de la vigne, les terroirs viticoles […] issus des traditions locales font partie du patrimoine culturel, gastronomique et paysager protégé de la France ». Agrochimistes et madame le ministre, à bon entendeur…
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* Pour les curieux, il s’agit de l’article L. 431-1 du Code de la consommation, sur renvoi de l’article L. 641-5 du Code rural et de la pêche maritime.
** Pour rappel, on parle d’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) lorsque la protection juridique s’opère au niveau du territoire de la France, et d’Appellation d’Origine Protégée (AOP) lorsque la protection juridique s’opère au niveau européen.
*** « Un terroir est une zone géographique particulière où une production tire son originalité directement des spécificités de son aire de production. Espace délimité dans lequel une communauté humaine construit au cours de son histoire un savoir-faire collectif de production, le terroir est fondé sur un système d’interactions entre un milieu physique et biologique, et un ensemble de facteurs humains. Là se trouvent l’originalité et la typicité du produit » (https://www.inao.gouv.fr/Les-signes-officiels-de-la-qualite-et-de-l-origine-SIQO/Appellation-d-origine-protegee-Appellation-d-origine-controlee).
**** Claude et Lydia Bourguignon, Le sol, la terre et les champs – Pour retrouver une agriculture saine, Editions Le Sang de la Terre.
***** Voir note n°4.
******* Association Vignerons Seve : http://www.patrick-baudouin.com/IMG/pdf/QUEL_AGREMENT_POUR_QUELLES_AOC_SEVE_INAO_SEPT_2007.pdf
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