top of page

QU’EST-IL EN TRAIN DE SE PASSER A POMMARD ?

  • Photo du rédacteur: Ouvalevin
    Ouvalevin
  • 22 févr. 2019
  • 8 min de lecture

Dernière mise à jour : 4 mars 2019


ree

Qu’ont en commun Pommard et le Nouveau Monde ? De beaux vignobles, des gens sympathiques, de bon mets, de bons produits. Certes, mais encore… Fait nouveau, ils ont désormais également en commun la promotion de l’ « expérience », si chère aux Américains du Nord comme du Sud. Je m’explique.


Le tout « expérience »


Lorsque vous vous rendez dans un domaine viticole du Nouveau Monde (je pense en particulier aux Etats-Unis et à l’Amérique latine), le topo est souvent le même : on se rend à la caisse pour acheter un billet (comme on le fait pour aller au musée) et on attend le début de la visite guidée. Se pointe alors un employé, son talkie-walkie à la ceinture, pour vous faire visiter le « petit » domaine familial par groupes de 10 ou 15 personnes. Pour info, en Argentine, on appelle « petit domaine familial » un domaine qui produit moins de 1 million de cols… Ledit employé déroule son discours en vous expliquant que la propriété a été construite en telle année, à l’initiative de telle personne, qui a fait fortune dans tel secteur (et qui habite bien sûr à quelques heures de vol). Le torse se bombe alors un peu plus pour préciser que le domaine se préoccupe de la qualité en adoptant des rendements bas pour ses meilleures cuvées (70 hl/ha pour un rouge tranquille est bien souvent considéré comme « rendements bas » en Amérique latine, sans avoir des densités de plantation extrêmes), qu’ils sont au top de la technologie, équipés de plus de 50 cuves thermorégulées et autopigeantes, que les vignes sont issues de clones dont la production a pris des années mais qu’on arrache au bout de 25 ans parce que vous savez, vous touristes ignorants… qu’aujourd’hui une vigne ne vit plus au-delà de 25 ans, c’est comme ça on n’y peut rien. En payant un peu plus cher, vous aurez droit à une dégustation des trois vins d’entrée de gamme du domaine. « Attends, on ne va pas te faire goûter la crème de la propriété non ? Tu te prends pour un prince ou quoi ? » Une fois la visite terminée, on passe par la boutique souvenir pour ramener chez soi un souvenir de cette « expérience ».


Caricatural ? Légèrement. Mais on retient mieux une idée quand elle est véhiculée par un discours caricatural non ? Demandez à votre oncle qui bosse dans la publicité… Bien sûr, cela ne se passe pas partout comme cela. Il y a de grands domaines et de grands vins un peu partout dans le Nouveau Monde. Mais, malheureusement, c’est trop souvent que le touriste lambda est confronté à cette situation, même dans des domaines réputés. Je l’ai vécu récemment. Il y a plein de raisons qui expliquent cela mais ce n’est pas l’objet de ce billet.


Vous allez au domaine comme vous allez au parc d’attraction. Et ce que l’on cherche à vous vendre est une « expérience ». « Vivez l’expérience du domaine ‘X’ ! » ; « Vivez l’expérience du domaine ‘Y’ ! ». Autrement dit, un moment éphémère, bien millimétré, dépersonnalisé, vendu par un VRP du rêve.


Mais au fait, pourquoi tu nous parles de tout ça dans un billet consacré à Pommard ?


L’arrivée de l’ « expérience » à Pommard


Eh bien, vous n’êtes pas sans savoir que le Château de Pommard a été racheté en 2014 par Michael Baum, arrivé tout droit de la Silicon Valley où il a fait fortune dans l’accompagnement de start ups pour en faire des machines à cash. Avec lui est arrivé en Bourgogne le concept d’œnotourisme d’outre-Atlantique.


Gros investissements, restructuration du domaine, nouveau design des bouteilles et des étiquettes présenté en grande pompe dans un Palace parisien, nouveaux noms de cuvées, production de « cuvées limitées » (il y a des cuvées illimitées en Bourgogne ?), mise à disposition de conseillers en vin, etc. Un lifting complet pour un vrai cas d’école de marketing. Le nouveau site internet du Château de Pommard est très parlant en la matière. Un site remarquable au demeurant, qui vous emmène avec Alice au pays de Pommard. On vous y accueille par la formule « Fall in love with life – Faites battre votre cœur au rythme de la Bourgogne ». Le visiteur veut rêver, se laisser transporter, et pour cela il faut lui raconter une histoire, lui faire oublier son quotidien. C’est comme cela que le storytelling (tant prisé des spin doctors américains) fait son entrée dans le monde viticole français par la grande porte : Pommard ! Une appellation que les Américains adorent parce que c’est bon et facile à prononcer… Une section entière du site est consacrée aux « expériences » bien évidemment. L’Expérience Découverte, l’Expérience Climats, l’Expérience Gourmet, l’Expérience Vendanges… chacune d’une durée millimétrée et à un prix plus ou moins élevé. A quand l’ « Expérience Léchage de Cailloux et de la Terre » ? Il paraît que ça donne une bonne idée du goût du vin…


L’on s’aperçoit également rapidement que l’attention du consommateur (mot régulièrement employé par Michael Baum lui-même ; on ne parle plus d’amateur ou d’œnophile à ce stade…) est portée avec insistance sur le nouveau produit phare du domaine : le Clos Marey-Monge et sa « cuvée d’exception » Simone. Un nom de clos que Jasper Morris semble avoir oublié dans sa bible. J’ai cherché mais je ne l’y ai pas trouvé, ni dans le cahier des charges de l’appellation Pommard d’ailleurs… Un nouveau nom donc pour ce clos (qui ne fait pas que des heureux au village à ce qu’il paraît !) et une curiosité que cette bouteille, qui n’est pas un premier cru mais qui est vendue plus cher qu’un Rugiens du Domaine de Courcel ou qu’un Clos des Epeneaux du Comte Armand. Imaginez ! Une bouteille qui est d’ailleurs mise bien plus en avant sur le site internet du Château que le Bonnes Mares, l’Echezeaux ou le Chambertin-Clos de Bèze. C’est dire le soin qui lui est apporté.


L’objectif est clairement l’établissement et la pérennisation d’une marque auprès d’un public ciblé (les jeunes consommateurs entre 20 et 30 ans selon les dires de Michael Baum), en s’inspirant notamment des méthodes de la Champagne, commerce à l’international oblige.


Une autre idée de l’œnotourisme


On s’accorde souvent à dire que la France est en retard en matière d’œnotourisme par rapport à d’autres pays. Et que l’arrivée d’investisseurs étrangers dans le vignoble permet aussi d’accélérer cette transition. S’agit-il d’un nivellement par le haut ou par le bas ? Personnellement, j’ai mon idée.


Certains se réjouiront de cette forme d’œnotourisme, car elle est en ligne avec ce qui se fait ailleurs et avec ce que les touristes étrangers attendent. Certains de ces touristes étrangers se plaignent de ne pas être reçus avec le tapis rouge dans une salle de dégustation design pleine d’employés aux ordres. Elle donne de plus aux visiteurs un accès à des outils pédagogiques très intéressants, avec du personnel qualifié à disposition, dans un cadre ludique, moderne et agréable, pour mieux comprendre les vins locaux et ce qui fait leur identité, comme le concept de « climat » bourguignon, le terroir, le climat, les arômes des vins, etc.


Le problème, c’est que l’adoubement de cette nouvelle forme d’œnotourisme met fin à celle que nous connaissons en France depuis toujours. Les deux à la fois sont souvent matériellement impossibles. Si le nombre de visiteurs s’accroît, celui qui travaille la vigne n’aura plus le temps de recevoir toute la clientèle, les visiteurs se verront fermer l’accès au chai et ne pourront plus se voir offrir un trempage de lèvres dans les jus enchanteurs du domaine.


Où est passé le charme de se voir recevoir par le vigneron propriétaire en personne, qui vous accueille au milieu de sa journée de travail, qui vous conte sa manière de travailler, de vinifier et d’élever ses vins, dont la passion transpire de son discours, qui vous demande ce que vous souhaitez goûter parmi ses vins, et surtout… qui ne compte pas les minutes passées avec vous ? Quel bonheur pour un œnophile de se voir inviter au chai, de regarder le nectar monter depuis le fût dans la pipette, se le voir verser dans son verre de dégustation, le sentir, l’admirer, le goûter puis échanger avec celui ou celle qui l’a fait de ses mains ! Cette intimité avec le vigneron (ou la vigneronne) n’a pas de prix.


Combien de fois m’est-il arrivé de dire à ma compagne (qui est étrangère) lors d’une visite d’un domaine viticole à l’étranger : « Tu sais, en France, ça ne se passe pas comme ça. Là-bas, j’aurais en face de moi le vigneron lui-même et il me ferait goûter tous ses vins, y compris ses meilleures cuvées, sans me faire payer ». La contrepartie sous-entendue étant bien sûr de ne pas repartir les mains vides.


Je me souviens d’une employée d’un domaine (de Pommard justement…), extrêmement sympathique, accueillante et connaisseuse, qui nous avait raconté l’anecdote suivante : Lorsqu’elle était arrivée au domaine, il y a quelques années, elle avait entrepris de balayer le chai et de supprimer les traces de moisissure et les toiles d’araignée. Et le vigneron de lui dire : « Non, laisse tout ça, les Américains adorent ! ». C’est bien la preuve qu’ils viennent aussi pour ça !


Au lieu de cela, l’œnotourisme soi-disant moderne vous ferme les portes des chais, supprime toute intimité avec le créateur de ce pourquoi vous êtes là, dépersonnalise la dégustation et vous téléporte dans une salle de dégustation design où un personnel formaté vous présente la production du domaine de manière souvent superficielle. Et si vous avez le malheur de poser une question technique, on vous répondra généralement : « Euh… Je ne sais pas, il faudrait que je demande au vigneron, mais il n’est pas là il est à la vigne… ».


En prenant un peu de recul, vous me direz certainement qu’on ne peut pas comparer un petit domaine familial français de 6 hectares avec un domaine Argentin de 250 hectares par exemple. La production n’est pas la même, les objectifs ne sont pas les mêmes et les marchés ne sont pas les mêmes. Et vous aurez raison. Mais en important les méthodes du Nouveau Monde dans nos vignobles, on impulse quelque chose, aussi petit ce quelque chose soit-il au début. Si on l’alimente, alors il deviendra de plus en plus important. Regardez le vignoble bordelais où certains châteaux changent de nom pour faciliter les exportations vers l’Asie.


Conclusion


Depuis quelques années, la France regagne une longueur d’avance sur le Nouveau Monde, après avoir souffert de sa concurrence féroce, en promouvant de plus en plus la typicité de ses terroirs, grâce notamment à un travail plus attentif des sols et de la vigne, au bio, voire à la biodynamie. On se distingue des vins de cépages qui ont conquis le monde par des vins de terroir, par définition inimitables et non reproductibles en dehors de leur zone de production. En dégustant un vin de terroir, on s’imprègne d’une histoire, d’un lieu, d’un savoir-faire, d’une émotion unique. D’un côté, on s’éloigne donc de plus en plus des pratiques du Nouveau Monde, mais on y revient au galop par l’autre côté à travers l’œnotourisme.


Les petits domaines familiaux sont les bijoux de la France viticole. Sans oublier l’Italie, l’Espagne et les autres pays producteurs d’Europe. Heureusement qu’il reste nombre de propriétaires exploitants pour qui le vin est avant tout une passion, des émotions, avant d’être un métier ou, dans le pire des cas, un simple outil de rentabilité. Ne nous enlevez pas cette magie au nom de la modernité s’il vous plaît !


PS : Je ne voulais pas terminer ce billet sans louer le Château de Pommard pour une chose : Son orientation vers la biodynamie et sa promotion. C’est une excellente chose. Il n’y a plus qu’à espérer la création d’une « Expérience Biodynamie » !

 
 
 

Commentaires


Pour recevoir les billets à leur publication

bottom of page